Les
limites des écrans cathodiques
Jacques Ligou
Octobre 2001
1. Affichages
entrelacés ou progressifs ?
Sans
revenir sur la signification bien connue des deux termes "entrelacé"
et "progressif", il s'agit ici de comparer les qualités
d'affichage des moniteurs informatiques et des téléviseurs
(lecture des DVD en particulier), pour souligner ensuite combien
est discutable l'affirmation fréquemment rencontrée
dans la presse spécialisée : "Il est plus
confortable de regarder un film sur son téléviseur
du fait de ses plus grandes dimensions". Et d'abord qu'entend-on
par "confortable" ? A part le nombre de personnes qui
peuvent simultanément regarder un film dans une même
pièce, les dimensions linéaires d'un écran
importent peu dès que l'on dépasse une certaine taille.
La grandeur de l'angle sous lequel on peut visionner un film, sans
percevoir les lignes propres aux affichages cathodiques, est plus
significative en ce qui concerne "l'immersion dans l'image",
notion toujours oubliée au profit de "l'immersion sonore"
à laquelle se réfère implicitement le "Home
Cinema".
N'oublions pas
que les normes adoptées par la télévision reflètent
une technologie vieille de plus de cinquante ans et que le choix
d'une vidéo entrelacée repose en particulier sur le
type de tube électronique que l'on savait fabriquer à
l'époque. Depuis, les progrès technologiques ont été
fantastiques et cela apparaît surtout en informatique puisqu'un
ordinateur vieux de trois ans est déjà démodé.
Au début de la micro-informatique, et pour les mêmes
raisons, les moniteurs étaient eux aussi entrelacés
et limités à de faibles résolutions, mais qui
s'en souvient ?
Au contraire, tout est presque figé en matière de
télévision car, du fait des normes de diffusion actuelles,
il n'est guère possible de profiter des progrès réalisés
en matière d'affichage. Changer brutalement ces normes, ce
serait faire fi des milliards de téléviseurs installés
dans le monde et provoquer une révolution planétaire
!
Les changements ne peuvent donc être que progressifs (sans
jeu de mots) et Toshiba a été le premier en 1999 à
proposer un nouveau mode d'affichage, prélude à la
télévision haute définition (HDTV).
Avant de présenter
une théorie très simple (§3), nous glanerons
quelques informations sur le Web (§2).
2. Informations
trouvées sur le NET
2-1 FAQ de Jim Taylor
(www.dvddemystified.com/dvdfaq.htm).
On trouve dans le § 1.40, qui insiste sur l'avantage d'un affichage
progressif, le commentaire suivant :
A progressive-scan DVD player converts the interlaced (480i)
video from DVD into progressive (480p) format for connection to
a progressive display (31.5 kHz or higher). Progressive players
work with all standard DVD titles, but look best with film source.
The result is a significant increase in perceivable vertical resolution,
for a more detailed and film-like picture..
D'ailleurs, les doubleurs de ligne que l'on interpose souvent entre
sources vidéo entrelacées et video-projecteurs ne
font pas autre chose, mais à quel prix !
Dans la même FAQ on peut lire à la fin du § 4.1
:
Computers have the potential to produce better video than settop
DVD-Video players by using progressive display and higher scan rates,
but many current systems don't look as good as a home player hooked
up to a quality TV.
Cette affirmation date un peu puisque 10 lignes plus loin on peut
lire le commentaire plus récent :
A DVD PC connected to a progressive-scan monitor or video projector,
instead of a standard TV, usually looks much better than a consumer
player. See 2.9. Also see the Home Theater Computers
forum at AVS.
C'est vrai qu'il y a seulement trois ans les PCs n'étaient
pas encore assez puissants pour donner entière satisfaction.
2-2 Toshiba
Il apporte sur un de ses sites des informations plus quantitatives.
Après une description sommaire de la vidéo entrelacée
(TV standard), il conclut en effet :
The scanning lines themselves, however, are visible. If a person
stands too close to a display device each line of information is
seen as it is displayed on the screen. This is why the Society
of Motion Picture and Television Engineers
(SMPTE) recommends an optimal viewing distance of 4.5 to 6 screen
heights of the display being viewed. At this distance, scanning
lines "merge together" to create the illusion of one contiguous
image. However, the larger the display device, the more noticeable
each scanning line -- as is evident with many large-screen projection
TVs.
et propose alors :
A solution to end the flicker caused by the interlaced scanning
process that simultaneously enhances the vertical resolution of
a large screen picture is to adopt a process of non-interlaced,
or progressive scanning. With this method, every line of
information on the panel display (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10,
11, 12, 13, 14 and so on) is scanned by the electron gun at each
pass across the entire panel. Simultaneously, progressive scanning
permits the viewer to sit closer to the display, as close as
2.5 screen heights, and not be annoyed by the presence of visible
scanning lines in the image.
On redécouvre
en quelque sorte la solution adoptée depuis plus de vingt
ans par les moniteurs informatiques ! En ce qui concerne les DVDs,
ils sont par nature "progressifs" s'ils ont été
créés à partir de films de cinéma. En
effet, un film traditionnel (argentique) est lui aussi progressif
puisqu'il est conçu pour projeter 24 images par seconde,
chacune d'elles étant affichée d'un seul coup.
2-3 Les modes
Weave et Bob
Même si la numérisation d'un film conduit à
une vidéo entrelacée (pour les besoins de la télévision),
il est très facile de repasser à l'affichage progressif
(celui du cinéma). Puisque deux trames (fields) successives
prises dans le bon ordre, correspondent nécessairement
à la même image, la reconstitution de celle-ci
par le PC est immédiate : c'est le procédé
dénommé "weave".
On ne peut pas
appliquer ce procédé à une vidéo provenant
d'une caméra de télévision standard sans créer
des défauts inacceptables, surtout lors de scènes
très animées. En effet, deux trames successives n'appartiennent
plus à la même image, au sens du cinéma
et correspondent toujours à deux instants successifs dans
la séquence. Dans ce cas on préférera utiliser
le mode "bob" qui revient à "inventer"
par interpolation verticale les lignes manquantes dans chaque trame
(field); c'est tout ce que l'on peut faire. Pour l'ordinateur il
s'agit encore d'un affichage progressif, mais à raison de
50 images/s cette fois (PAL), soit le double de la cadence normale,
ce qui procure une excellente fluidité, mais au prix d'une
perte de qualité des images (contours moins nets dus
aux interpolations).
En principe
une variable définie sur 1 bit indique pour chaque image
d'une séquence MPEG2 à quel type de vidéo on
doit faire face. Malheureusement cette information est parfois absente,
mais quoi qu'il en soit, le mode weave est à choisir
le plus souvent car la plupart des DVDs sont conçus par les
producteurs de films de cinéma (seules les bandes annonces
sont souvent du type TV). Les DVDs pressés en Europe ignorent
hélas le mode Weave, comme PowerDVD le révèle
dans son Panneau de Configuration (suite à un e-mail CyberLink
nous l'a confirmé).
3.
Considérations théoriques sur la perception des lignes
3-1 Base
des calculs
Ils reposent sur la valeur de la résolution angulaire de
l'il que l'on évalue en moyenne à σ =
2 min. d'arc, comme indiqué par exemple dans la rubrique
"VISION" de l'Encyclopædia Universalis (Version
DVD-Rom). Pour l'évaluer on se sert parfois de la mire de
Foucault, ensemble de bandes rectilignes parallèles, de même
largeur, alternativement sombres et claires.
Il existe bien sûr d'autres méthodes, mais celle-ci
est la plus cohérente avec les considérations qui
vont suivre et il est amusant de constater que cette mire ressemble
beaucoup, toutes proportions gardées, à l'affichage
d'un écran cathodique !
3-2 Formulation
Dans ce qui suit, h représentera la hauteur de l'écran,
D la distance à laquelle on se place et ny
la résolution verticale choisie, à savoir le nombre
de lignes horizontales utilisées pour reconstituer une image.

La distance
dh entre 2 lignes, soit dh = h / ny , est vue sous l'angle
dΘ = dh/D = h / ny D, où dΘ est exprimé
en radians.
D'un autre coté,
on vient de voir que la résolution angulaire de l'il
était estimée en moyenne à σ = 2 min.
d'arc, ou encore σ = 5.8 10-4 rad; donc pour qu'on
ne puisse plus distinguer deux lignes successives, il faut remplir
la condition dΘ < σ, soit :
Du triangle
ci-dessus (Fig.2), on déduit: tang(α) = h/2D, d'où
l'angle d'ouverture verticale Θy = 2α:
On peut aussi
définir l'ouverture horizontale θx , à laquelle on
associe souvent la notion de confort visuel, en remplaçant
h par la largeur de l'écran (4/3 h):
Pour se placer
dans les conditions optimales de vision (grandes valeurs de Θx
), il faut donc choisir la plus grande valeur du rapport h/D compatible
avec la condition (1), soit :
3-3 Résultats
Quelques résultats significatifs sont consignés dans
le tableau qui suit, où les angles indiqués correspondent
aux valeurs optimales de h/D, ou si l'on préfère aux
distances minimales Dopt en dessous desquelles les lignes
seraient perçues.
Résolutions
verticales ny
Nombre de lignes horizontales |
Dopt/h
(Eq .4) |
Ouverture
maximum en °
|
Dopt
(cm) pour
|
Télévision |
240
: NTSC entrelacé (*) |
7.2 |
8 |
10.5 |
194 |
216 |
302 |
288
: PAL entralacé (*) |
6 |
9.5 |
12.5 |
162 |
180 |
252 |
Informatique |
480
: NTSC progressif (VGA) |
3.6 |
16 |
21 |
97 |
108 |
Hors
de
Prix |
600 : SVGA |
2.87 |
20 |
26 |
77 |
86 |
768
: recommandé pour un 19" |
2.24 |
25 |
33 |
60 |
67 |
1024
: recommandé pour un 21" |
1.68 |
33 |
43 |
45 |
50 |
(*) Quand la
vidéo est entrelacée, il ne faut pas oublier que,
du point de vue de la perception oculaire, ce qui compte c'est le
nombre de lignes affichées lors d'un balayage complet de
l'écran et non le nombre de lignes, deux fois plus important,
contenues dans une image (480 pour le NTSC et 576 pour le PAL).
Les chiffres
de la 1ère colonne relatifs au NTSC sont proches de ceux
de Toshiba, que ce dernier a repris du SMPTE (§ 2-2). Cet organisme
semble avoir pris une résolution σ oculaire un peu
supérieure à la notre (2.5 contre 2.0 min). Cette
donnée de départ étant définie au mieux
à 50% près, on en conclura que notre "théorie"
recoupe très bien les données de la littérature;
on peut dès lors l'utiliser dans des études pamétriques.
On notera que
la résolution VGA correspond au format NTSC non entrelacé
(ça n'est pas un hasard) et que le SVGA est très proche
du PAL non entrelacé (600 lignes contre 576). Les chiffres
dans les trois premières colonnes sont indépendants
de la taille de l'écran et dans les trois dernières,
à chaque valeur d de la diagonale effective, soit
à chaque hauteur h = 3/5 d de l'image visible, correspond
la distance optimale Dopt à laquelle il
faut se placer (voir la 1ère colonne).
Il est donc
faux de prétendre qu'un grand écran TV procure un
plus grand confort: plus il est grand, plus il faut se tenir loin
de lui pour échapper au scintillement, si bien que l'angle
de vision horizontal Θx admissible reste le même,
à savoir 10° à 13° (3ème colonne);
le nombre de lignes demeure en effet constant, car fixé par
les normes de diffusion. Le seul avantage d'un grand écran
est de pouvoir loger devant le même téléviseur
plus de personnes puisqu'elles doivent s'asseoir plus loin (voir
les trois dernières colonnes)
et aussi d'utiliser le
canapé du salon un verre de whisky à la main !
Avec les moniteurs
informatiques les conclusions sont différentes, dans la mesure
où les résolutions verticales maximales autorisées
croîssent avec leur diagonale; c'est d'ailleurs pour cette
raison qu'ils sont relativement chers ! Considérons par exemple
un moniteur de 19", une résolution de 1024x768 est tout
à fait courante ; c'est celle que CyberLink recommande pour
la lecture sur PC des films au format 16/9. L'avant-dernière
ligne indique les nouvelles valeurs caractéristiques : on
peut voir les films sous un angle horizontal de 33°, comme au
cinéma lorsqu'on s'installe au milieu de la salle; mais pour
bénéficier d'une telle ouverture il faudra s'asseoir
à 60 cm, ce qui ne permet guère de loger plus de deux
personnes!
N'oublions pas toutefois que la résolution native des DVDs
(480 ou 576 lignes) va imposer des interpolations osées en
haute résolution: les pixels seront invisibles, même
de très près, mais les contours perdront en netteté.
Retenons donc 600 ou 768 lignes comme résolutions verticales
avec une ouverture horizontale de 21° pour une distance de 100
cm environ.; on s'est donc un peu éloigné de l'optimum
qui se situe autour de 30° pour profiter d'une plus grande distance.
Mais répétons le encore une fois, un moniteur nous
offre un affichage progressif.
Naturellement,
on peut aussi regarder un film sur un moniteur informatique de résolution
importante sous le même angle qu'un téléviseur,
disons 13°. Dans ce cas on se placera à 160 cm environ
d'un écran de 19", ce qui est suffisant pour loger 4
à 5 personnes mais fait perdre les avantages de "l'immersion
dans l'image" que l'on a vu plus haut (ouvertures de l'ordre
de 20° à 35°).
3-4 Video-Projecteurs
ou le grand écran
Avec les Vidéo-Projecteurs on change à peine de sujet.
De résolutions SVGA ou XVGA on les branchera sur la sortie
VGA d'un ordinateur pour exploiter les résolutions de ce
dernier en mode progressif. Il y aura donc assez de lignes affichées
sur l'écran, à condition de se limiter à des
agrandissements raisonnables. Ce n'est que dans ce cas que l'on
peut parler de Home Cinéma. N'oublions pas aussi que ces
appareils sont au départ des périphériques
informatiques, permettant à des ingénieurs de présenter
leurs produits ou leurs résultats, avec par exemple le logiciel
de PréAO PowerPoint.
Au contraire
un Video-Projecteur connecté à un lecteur DVD de salon,
comme on le fait le plus souvent, nous fera replonger dans les ornières
de la vidéo entrelacée. En effet avec ce type de lecteur
DVD destiné à la TV, il faudra utiliser les entrées
A/V du Vidéo-Projecteur qui va devoir reconstruire un signal
qui ait un sens pour lui.
Posons nous la question : pourquoi a-t-on inventé les doubleurs
ou quadrupleurs de ligne ?
Réponse : pour corriger les insuffisances des affichages
entrelacés.
On trouvera sur le site www.cinedvd.net/progressive_scan.html
une étude plus récente, dont les conclusions sont
entièrement conformes aux notres.
4. Conclusions
A condition
de respecter les paramètres donnés ci-dessus, visionner
un DVD sur un moniteur de 19'' c'est excellent, même si ce
plaisir reste un peu solitaire (idéal pour un couple). On
peut remarquer aussi que si la qualité du format VHS est
très inférieure à celle du DVD, l'affichage
sur un téléviseur standard ne rend pas pleinement
justice à ce dernier; c'est un peu le résultat
auquel on parviendrait en associant des enceintes acoustiques médiocres
à une chaîne HiFi, par ailleurs de très haute
qualité. Comme on l'a vu, Toshiba l'a bien compris puisqu'il
propose depuis plus de deux ans des lecteurs de salon avec sortie
progressive ainsi que les téléviseurs compatibles
(ColorStreamPro).
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